Overland Track
L’Overland Track, fameux chemin de randonnée de Tasmanie (et sans doute le plus célèbre d’Australie), s’étend sur 82 kilomètres de Cradle Mountain au Lake Saint Clair et se parcoure en moyenne en 6 ou 7 jours, traversant une diversité de paysages assez impressionnante.
En été, il faut payer un droit d’entrée, réserver à l’avance, et marcher du nord au sud uniquement. Des « huttes » d’étapes, avec chauffage au bois ou au fuel sont réparties sur le chemin, et le camping est autorisé à quelques endroits bien définis. Par chance, notre séjour ici coïncide avec le début de l’hiver et l’Overland Track est gratuit à partir du 1er juin.
Nous avions très envie de tenter l’aventure, faire une pause du van pour sentir la terre défiler sous nos pied plutôt que sous ses roues. Voici le journal de bord de cette semaine épique !
Jour 0 : La grande illusion
Nos sacs sur le dos, la nourriture mathématiquement compartimentées pour les 7 jours à venir, une bonne dose de tisanes et nos chaussettes en laine dans nos chaussures d’été, nous sommes prêts à marcher ! Le plan, c’est de garer le van au Lake Saint Clair, arrivée officielle de l’Overland Track, et faire du stop pour rejoindre le départ à Cradle Mountain. On se disait qu’on serait sans doute contents de retrouver directement le confort du van après cette grosse semaine…
Nous nous mettons donc en marche le pouce levé, avec la belle illusion qu’une bonne âme nous fera parcourir d’une traite les 219 kilomètres qui nous séparent du départ…
5 bornes à pieds sur la route, 1h de plus à attendre à un croisement stratégique et un picnic debout sous la neige qui ne cesse de tomber. On se gèle, on est trempé et les rares voitures qui passent ne semblent pas pour autant avoir pitié… On commence à douter. Dans le meilleur des cas, il nous faudrait 3h pour atteindre le départ et la nuit va vite arriver. On doute aussi de la faisabilité de l’Overland Track avec ce temps et notre équipement léger. Nos chaussures sont toutes fines et perméables, et on n’a pas grand chose d’efficace pour se protéger de la pluie, du vent et de la neige à part un K-way et un poncho.
Après une profonde concertation, on rebrousse chemin et on rentre au van.
Une soirée auprès du feu et un bon repas nous réchauffent un peu le moral. On abandonne l’idée de rejoindre le départ en stop, et on développe un plan B. On fera l’Overland Track à l’envers, en partant d’ici. Et si les conditions sont trop mauvaises, ça nous laissera toujours la possibilité de ne faire qu’une portion de la randonnée et de rentrer au van. On a 7 jours d’autonomie en bouffe, on a de quoi voir venir…
Jour 1 : Si t’as froid aux pieds, mets un bonnet !
L’estomac calé par un un porridge gluant, nous voilà plus que motivés à quitter les routes goudronnées pour toucher la nature de plus près. On s’improvise une paire de guêtres en découpant un morceau de tissu imperméable qu’un mec nous a donné quand on a acheté le van. On n’a pas trop le temps de peaufiner, le scratch autocollant ne colle pas… Quatre bouts de ficelle feront l’affaire pour aujourd’hui. On embarque un petit kit de couture dans le sac à dos en vue d’une amélioration éventuelle…
Le sentier longe le Lake St Clair en passant au milieu de la rainforest couverte de neige. Les racines des eucalyptus sont énormes, les fougères de la taille d’un palmier. Tout est blanc, tout est géant et on se sent bien minuscule dans cette belle forêt. La neige commence déjà à fondre par endroit, et on tente vainement d’éviter les flaques et les torrents qui couvrent le chemin. Malgré la super membrane étanche de nos chaussures (comprenez le sac plastique qu’on a enfilé par dessus nos chaussettes…) nos pieds sont rapidement trempés. On se refroidit vite et le sac paraît étrangement plus lourd après la pause déjeuner…
24,2 km pour cette première journée ! On arrive à la hutte en même temps que la nuit. Il y a déjà plein de monde, on est un peu déçu…
Mais après un bon gros plat de pâtes, on sympathise avec les gens. Robyn et Phil ont pitié de notre condition. Et sans même avoir le temps de refuser, on se retrouve avec le guide de l’Overland Track et une paire de chaussons chacun, pour mettre nos pieds au sec le soir dans les chalets. C’est leur dernier jour de rando, on n’aura qu’à leur rapporter à Hobart à la fin de la marche…
La nuit n’est pas froide. Les boules Quies sont utiles…
Jour 2 : Les chaussettes de l’Archi Duc
Le soleil ne se lève pas avant 7h du matin. Cette gigantesque nuit nous a redonné des forces, on décide de continuer au moins jusqu’à la prochaine hutte. Le moral chute quand même un peu au moment de renfiler nos chaussettes encore trempées de la veille…
La forêt s’ouvre sur une plaine éblouissante. Après trois petites heures de marche dans la neige, nous arrivons à Bert Nichols Hut : chalet immense, vide, et horriblement glacial. Il doit son nom à un trappeur de Lorinna qui a balisé l’Overland Track pour la première fois en 1931.
La mauvaise idée du jour : faire sécher les chaussettes en laine toutes neuves sur le chauffage au fuel… «– hum, il y a un truc qui sent le cochon grillé !? – Oh noooooooon mes chaussettes ! ». C’est seulement plus tard qu’on découvrira la notice d’utilisation du chauffage. Après les quelques lignes qui expliquent qu’on est autorisé à l’allumer seulement s’il fait moins de 10°C dans la hutte, il est en effet précisé qu’il ne faut surtout rien faire sécher dessus… On se grouille de tout aérer pour essayer de dissiper l’odeur avant que le Ranger ou quelqu’un d’autre arrive…
La soirée se poursuit par une petite séance de couture pour repriser les chaussures de Ben qui n’ont pas apprécié l’exercice de ces deux premiers jours.
Jour 3 : Overland Track version DIY
Réveil gelé. Le thermomètre affiche moins de zéro degrés à l’intérieur du chalet.
Aujourd’hui, on prévoit de faire 2 étapes. Le paysage change encore et les dénivelés commencent à se faire sentir. Un peu plus de 4 heures pour arriver à la première hutte, Kia Ora où on s’accorde une pause picnic bien méritée !
L’après-midi est plus difficile et le sentier semble s’allonger à mesure que nous marchons. On glisse sur la neige verglacée. On glisse sur les racines couvertes de mousse en essayant d’éviter de mettre les pieds dans l’eau. Mais nos chaussures sont déjà tellement imbibées qu’on se demande si ça vaut vraiment le coup de continuer à essayer de les épargner. Autant courir dans les ruisseaux ! On aurait au moins l’impression d’avancer… Le soleil se couche quand on arrive à Pillion Hut. On meurt de fatigue, on pue des pieds, nos os sont glacés, chaque partie de nos corps semblent vouloir revendiquer leur existence (ça, c’est plutôt pour Alice) et les chaussures de Ben comptent quelques trous en plus…
Après un repas réconfortant (genre soupe déshydratée, on est tout de suite moins regardant…), on puise dans nos dernières forces pour une session couture à la lampe frontale. On fixe les scratchs à nos guêtres, dont on coupe également quelques morceaux pour réparer les chaussures de Ben de manière plus durable…
Jour 4 : Du concentré de Tasmanie
En 6h de marche, on voit défiler des paysages tellement différents ! Les plaines enneigées se transforment brutalement en une forêt épaisse et humide aux arbres centenaires. Puis, sans transition, on se retrouve sur un plateau marécageux avec des lacs et des montagnes. Encore quelques pas de plus et des eucalyptus morts à perte de vue sortent de la brume, les cris des corbeaux ajoutant un caractère un peu plus sinistre au tableau…
Même si on croise quelques personnes sur le chemin, on se sent bien loin de la civilisation, du bruit des moteurs et de la couleur du bitume. On se sent privilégié d’être là, et on s’émerveille devant le bleu turquoise d’un mini-champignon, face à une racine tarabiscotée ou à la découverte des motifs que la roche dessine.
Windemere Hut est un chalet plus petit, plus accueillant que les deux précédents. On fait la rencontre de 2 joyeux lurons, Rob et Andy avec qui on passe une bonne soirée au coin du chauffage. On découvre qu’Andy a travaillé ici avec Nick (notre ancien hôte de Lorinna), et que Rob vient voyager en Angleterre et France dans quelques mois !
Jour 5 : Randonnée aquatique
Réveil au son de la pluie. On enfile tout ce qu’on a de plus étanche pour braver le déluge et les rafales de vent. Une grosse partie du sentier est construite en planches de bois pour passer au dessus des marécages et préserver cet environnement fragile. Une série de cascades se laisse timidement apercevoir à travers la brume épaisse qui stagne dans la vallée. Et pour rester dans le thème aquatique de la journée, l’eau dévale en torrent sur la dernière partie escarpée du sentier. Mais cette fois ci, l’eau est claire et on est presque content : ça rince nos chaussures et nos chaussettes boueuses des jours précédents.
Après 2 heures de marche énergique, on arrive au chalet qui porte bien son nom : Waterfall Valley Hut. On a l’après-midi pour faire sécher tous nos vêtements dégoulinants…
Jour 6 : Dernière ligne droite
Le temps s’est réchauffé mais la pluie et le vent rendent la nuit agitée. Une porte de la hutte s’ouvre sous les rafales, et se met à claquer violemment en faisant trembler les murs. On se demande si c’est vraiment raisonnable de marcher aujourd’hui mais on sait que les prévisions météo ne seront pas meilleures dans les jours qui arrivent…
Finalement, on se remet en route pour la dernière étape avant l’arrivée. C’est dimanche, le coin est plus fréquenté le week end et on aurait sans doute plus de chance de se faire prendre en stop aujourd’hui pour rentrer au van dans la soirée.
Les formes noires et déchiquetées des Cradle Mountains se dressent autour de nous. Le décor est impressionnant et la luminosité rend la vallée mystérieuse à travers la brume.
La partie sur le plateau se corse.
Les nuages défilent à une vitesse folle. On a du mal à mettre un pied devant l’autre en restant sur le chemin étroit en planche de bois. Le vent fait croiser nos pas, on marche comme un mec bourré… Et l’exercice devient encore plus technique lors de la descente escarpée. « Si tu te baisses, tu descends ton centre de gravité et c’est plus facile d’avancer » « QUOIII ? J’ENTENDS RIEN AVEC CE VENT ! ». On a l’impression de lutter pour ne pas se faire jeter contre la paroi de la montagne. On descend encore un peu avant d’être à l’abri. Ouf ! D’un coup, tout devient paisible et le chemin sinue gentiment à travers la vallée jusqu’au parking de Cradle : l’arrivée.
Ca y est ! On l’a fait ! 82 kilomètres dans des baskets mouillées !
Bon, mais voilà, l’aventure n’est pas tout à fait terminée. Il reste ces 219 km à parcourir en stop pour retrouver le van. En accostant les gens directement sur le parking, on devrait avoir plus de chances. Après un bon nombre de refus, on se rend compte qu’on n’arrivera pas au Lake St Clair ce soir… La carte sous les yeux, on étudie les différentes possibilités : la solution la plus réalisable serait d’atteindre Lorinna pour y passer la nuit. On préviendrait bien Nick et Arana, mais on n’a aucun signal réseau…
« Oh, ben ça aurait été avec plaisir, mais on est en bus, en tour organisé ! » nous dit un groupe de nana sur le parking. « Mais attendez, il y a des places en rab dans le bus, on pourrait demander au chauffeur, il est très gentil. ». Les touristes, enthousiastes, attendent avec nous que le chauffeur revienne de pause pour lui sauter dessus : « George, George! Ces jeunes gens ont quelque chose à te demander ! ». Et c’est comme ça qu’on s’est fait déposer sur la route par un bus de tourisme privé !
Pas jusqu’à Lorinna, bien sûr. Lorinna n’est pas « sur la route de… ». Lorinna est isolé de tout, au fin fond d’une forêt magique, souvenez-vous. Dans le bus, on a réussi à choper un instant de réseau pour envoyer un texto à Nick et Arana, sans être bien sur qu’il soit arrivé à destination… Après un peu plus d’une heure de marche sans grand succès et un échidné mort sur le bord de la route, le déluge commence… Par chance, Arana a eu notre message et arrive à notre rescousse. On arrive à leur maison, encore une fois trempé, mais heureux de retrouver cette adorable famille et de pouvoir passer une dernière belle soirée avec eux.
Le lendemain midi, Nick nous avance un peu, nous déposant à un endroit qui lui semble un bon spot. On n’attendra pas bien longtemps avant qu’un vieux 4×4 Ford s’arrête à notre niveau.
« -Grimpez vite vous réchauffer à l’intérieur !
– On va au lac St Clair, c’est bon ?
– Pourquoi pas, on peut aller là-bas, nous aussi ! »
Steave au volant, et Dee avec sa bouillotte-mouton et sa boite de mouchoir sur les genoux, sont sortis faire un tour en voiture parce qu’ils en avaient marre d’être enfermés depuis 3 jours à cause du mauvais temps… Ils ont l’habitude d’arpenter les routes à la recherche d’une âme en détresse. Quand ce ne sont pas des auto-stoppeurs mouillés, ce sont des animaux blessés ! On fait connaissance, on traverse de superbes campagnes, on s’arrête de temps en temps pour que Steave nous fasse sentir et goûter quelques plantes natives du bush. On leur paie un coup à boire dans le pub du coin pour les remercier avant de remonter à bord de notre van que la neige et la pluie n’ont même pas délavé.
Et voilà, maintenant on peut le dire pour de vrai : « Overland Track, we did it ! »
On réalise avec un petit pincement au cœur que l’aventure tasmanienne touche aussi à sa fin. Nous repassons par Hobart pour déposer les chaussons et le livre de l’Overland Track au bureau de Phil. Sur la plage de Clifton Beach nous retrouvons Robyn qui nous invite à prendre une douche et un café dans leur petite maison de tôle ondulée.
Robyn, cette petite dame déterminée qui tente de faire pousser des poivrons rouges par des températures négatives (et qui réussit) et qui collecte des cailloux, coquillages, squelettes d’oiseaux et autres objets échoués sur la plage pour les regarder se transformer avec le temps, étalés sur sa table de jardin…
Notre dernière soirée, nous la passons en compagnie de Dee, Steave et leur fille Anabelle, qui nous embarquent à nouveau dans leur voiture pour une sortie nocturne à la rencontre de la faune locale. Le kit de secours dans la boîte à gant, on roule à la recherche d’un animal blessé à soigner, ou d’un animal mort à déplacer. Il faut le dire, il y en a un paquet sur les routes de Tasmanie (et le wombat mort sent bien plus la mort que n’importe quel autre animal mort). Mais ce soir là, nous seront chanceux d’apercevoir, parmi les possums, les wallabies et les pademelons filant dans les champs et les buissons, la robe à pois blancs de deux magnifiques petits quolls…
Nos yeux brillent. C’est notre dernière nuit.
En revanche, le diable ne pointera pas le bout de son nez. Comme si la Tasmanie voulait garder un peu de ses secrets, une partie de son mystère.
Comme si la Tasmanie voulait que l’on revienne un jour…
Emmel 17 août 2015 - 0 h 58 min
Diable que c’était bien ! 🙂 Encore une page, de la lecture de votre périple, qui se tourne en m’imprimant le sourire. La rando dans ces conditions, c’est courageux… J’ai instinctivement remis mes pieds dans mes tongs, égarées sous mon bureau, à mesure que je lisais. ^^
zoomtheglob 18 août 2015 - 0 h 43 min
ahah nous on se marre bien avec tes commentaires. Les tongs par contre c’est pas très efficace pour la neige…Mais, t’avais les pieds mouillés quand même à la fin de la lecture ?
Claire 17 août 2015 - 1 h 14 min
Quelle aventure !!! Je ne savais pas qu’il neigeait autant en Tasmanie, j’suis impressionnée ! C’est fou de voir cette végétation, les fougères et les ‘pandanus’ (jour 3), toute saupoudrée de blanc. En tout cas, ça vous met en bouche pour les nombreux tracks de NZ 🙂 Et la hutte ‘Kia Ora’ c’est un signe ! Peut être qu’on aura l’occaz d’en faire avec vous ?
zoomtheglob 18 août 2015 - 0 h 37 min
Vous avez fait beaucoup de rando en NZ ? Ca pourrait être génial d’en faire avec vous !!
Et oui, il neige pas mal en Tassie, ça dépend des endroits. Mais là tout récemment ils ont eu de grosses grosses chutes de neige, certaines plages étaient couvertes de blanc (là pour le coup c’est moins courant), et il y a eu plusieurs évacuation en hélico le long de l’Overland Track justement, des gens bloqués plusieurs jours à cause de la neige…)
On a entendu que la Tassie pouvait ressembler à l’ile du Sud de la Nouvelle Zelande, par certains point. On a bien hâte de voir tout ça en tous cas !
Claire 7 septembre 2015 - 13 h 23 min
(…réponse un peu tardive…)
On a fait pas mal de balades sur la journée mais pas sur plusieurs jours car on n’avait pas vraiment le matos nécessaire mais gros regret… du coup on espère pouvoir se rattraper à notre retour !!! Et oui la Nouvelle Zélande ressemble énormément à la Tasmanie avec ses forêts de fougères arborescentes, ses cascades et son climat capricieux 🙂
Il me tarde de voir vos frimousses, j’espère bien qu’on va se croiser ! Des bisous 🙂
zoomtheglob 10 octobre 2015 - 17 h 40 min
(…réponse encore plus que tardive…)
On fait aussi principalement des randos sur la journée. C’était surtout l’Overland Track qu’on avait organisé comme ça. Pour la Nouvelle Zelande, on part sur le principe de ne pas avoir de van ou voiture… donc on ne sait pas trop comment on va goupiller ça ! En tous cas, c’est sûr, on arrive sur l’île du Sud. C’est quand même plus petit que l’Australie, on devrait bien réussir à se croiser 😉
perrine 23 octobre 2015 - 5 h 24 min
Votre blog coupe le souffle… Bravo Alice ! Bravo Benjamin !